« La transition énergétique en Afrique offre d’immenses possibilités pour les populations, la planète et les entreprises. Les investisseurs pourraient couvrir 70 % des besoins de financement des infrastructures » annonce le centre sur le financement du développement durable en Afrique. Subissant de plein fouet les conséquences du réchauffement climatique, le continent doit accélérer sa stratégie de durabilité à plusieurs échelles. Une lecture, teintée d’afro-optimisme, des capacités de l’Afrique à affronter ces défis avec un aperçu sur la dynamique autour des ODD.
L’Afrique est le continent qui subit le plus l’impact du réchauffement climatique alors que c’est le continent qui contribue le moins à la pollution de la planète. Selon des études récentes, «le coût des incidences économiques des changements climatiques sur l’Afrique pourrait être estimé à l’équivalent de 1,5 % à 3 % du Produit intérieur brut (PIB) à l’horizon 2030 alors que ses émissions de gaz carbonique par habitant sont inférieures à une tonne par an, elle contribue pour 2,4 % à peine des émissions mondiales». Les conséquences du réchauffement climatiques sont dramatiques spécialement dans les pays fragiles et touchés par des conflits: les inondations, les épidémies de méningite, la sécheresse et la pénurie de denrées.
Cette injustice confronte l’Afrique à des défis qui nécessitent d’importants moyens à court terme et un savoir-faire immédiat pour concevoir et déployer des solutions répondant à la fois aux besoins de base des populations et à la contrainte environnementale et sociale.
Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA) et la Banque africaine de développement (BAD)ont publié en juillet 2024, le «Rapport sur le développement durable en Afrique (ASDR)». Ce nouveau Rapport, intitulé « Renforcer l’Agenda 2030 et l’Agenda 2063 et éliminer la pauvreté en période de crises multiples : la mise en œuvre efficace de solutions durables, résilientes et innovantes » préconise un certain nombre de mesures afin d’accélérer la durabilité. D’abord l’accès à des financements concessionnels pour le développement, des systèmes d’information et d’alerte précoce renforcés, ainsi que des réformes économiques urgentes.
Bien que le progrès vers plus de durabilité soit entravé par le manque d’accès à des services énergétiques fiables, modernes et à un coût abordable, l’Afrique a encore toutes ses chances pour travailler sur une feuille de route de la durabilité ambitieuse.
Parmi les atouts dont dispose l’Afrique, le solaire, l’éolien, la biomasse, l’hydroélectricité, et des minéraux comme le lithium, le graphite ou le cobalt qui « peuvent être utilisés dans les technologies d’énergie renouvelable – production de panneaux solaires, de batteries pour véhicules électriques ». L’Afrique peut aujourd’hui se positionner parfaitement sur tous les aspects de la durabilité
Une vision optimiste
Pour appuyer une vision plus optimiste des capacités du continent africain à affronter ces défis, on peut se référer au rapport du PNUD sur l’investissement en Afrique, produit par le Centre sur le financement du développement durable en Afrique (Africa Sustainable Finance Hub, ASFH). Le document donne un aperçu des opportunités d’investissement dans le secteur privé susceptibles de contribuer à la réalisation des cibles des ODD en Afrique, conformément à l’Agenda 2063 de l’Union africaine.
Utilisant les résultats recueillis dans 10 pays en 2022, le rapport fournit des données et des tendances en matière d’opportunités d’investissement axées sur les ODD qui peuvent promouvoir des investissements à fort impact à travers le continent.
Ce rapport présente 157 opportunités d’investissement alignées sur les ODD pour 10 secteurs dans divers contextes économiques en Afrique de l’Est (Kenya, Maurice, Rwanda, Tanzanie et Ouganda), en Afrique australe (Eswatini, Namibie et Afrique du Sud) et en Afrique de l’Ouest (Ghana et Nigéria).
des secteurs comme l’alimentation et les infrastructures, offrent «de forts effets multiplicateurs pour la réalisation des ODD, notamment par le biais de l’intégration régionale et du commerce, tout en présentant un potentiel d’agrégation et de diversification pour les investisseurs».
Le rapport indique que «le potentiel financier et l’impact des opportunités d’investissement sont significatifs, avec des rendements indicatifs de 15 à 20 % et la plupart des opportunités d’investissement générant un nouveau résultat positif pour les parties prenantes qui seraient autrement mal desservies».
Transition énergétique
La transition énergétique en Afrique offre d’immenses possibilités pour les populations, la planète et les entreprises. Un classement mondial révèle que 7 des 10 pays les plus ensoleillés au monde se situent sur le continent africain. La création d’énergie solaire fait partie des plus grands atouts du continent avec environ 10 TW (1TW=1000GW).
L’énergie hydraulique possède également un potentiel énergétique avec 10% du potentiel mondial (350GW). Certains pays misent déjà massivement sur le renouvelable comme l’Éthiopie, dont la production d’électricité repose à plus de 90 % sur les énergies renouvelables.
Les énergies renouvelables peuvent en effet fournir de l’électricité aux 600 millions d’Africains qui en sont actuellement privés, créer des emplois et stimuler l’industrialisation. La Banque mondiale estime que la création d’un « marché énergétique » entre les pays d’Afrique de l’Ouest représenterait une économie de cinq à huit milliards de dollars.
La transition énergétique figure parmi les priorités de plusieurs pays africains, mais elle ne peut se faire sans une politique publique forte et un appui organisationnel. En effet, le programme de transition énergétique africaine est le principal cadre sous lequel tous les programmes et politiques de l’AFREC (Commission africaine de l’énergie) sont élaborés et mis en œuvre. Il vise à mobiliser pleinement les ressources et les potentiels énergétiques de l’Afrique, en plaçant l’énergie au sommet des agendas nationaux et régionaux, et en adoptant des approches qui placent l’Afrique directement sur des voies de développement énergétique innovantes et à faible émission de carbone.
En Tunisie, par exemple, le ministère de l’industrie, des mines et de l’énergie a élaboré une stratégie énergétique à l’horizon 2035 avec l’appui du PNUD. Cette stratégie s’inscrit dans une «vision qui consiste à appréhender la problématique de sécurité énergétique du court terme dans une optique de long terme tournée vers un modèle énergétique durable qui contribue au développement bas carbone de la Tunisie». Les objectifs fixés visent à réduire la consommation d’énergie primaire de 30% à l’horizon 2030, par rapport au scénario tendanciel et atteindre une part des énergies renouvelables de 30% dans le mix électrique au même horizon.
Les actions choisies consistent en l’installation d’une capacité de 8350 MW en 2035 pour la production d’électricité renouvelable, le développement de larges programmes d’efficacité énergétique dans les secteurs de l’industrie, bâtiment et transport, la mise en place de l’infrastructure pour la commercialisation des véhicules électriques et la mise en place de projets pilotes de production d’hydrogène vert.
Le reboisement comme projet phare
La désertification touche environ 45 % des terres africaines, dont 55 % présentent un risque « élevé » ou « très élevé » de dégradation supplémentaire. «Regreening Africa» est une initiative de recherche-développement codirigée par le Centre de recherche forestière internationale et l’agroforesterie mondiale (CIFOR-ICRAF) avec un ensemble de partenaires.
L’initiative Regreening Africa, qui a restauré 350 000 hectares à travers huit pays d’Afrique subsaharienne entre 2017 et 2023, vient d’être désignée comme l’un des projets phares des Nations Unies pour la restauration des écosystèmes mondiaux.
Cette action devrait permettre de restaurer 5 millions d’hectares d’ici 2030, en stimulant la biodiversité et en soutenant les communautés locales.
Un numérique responsable
Sur un autre volet, les tendances émergentes dans le numérique, telles que le nombre croissant des data centers et les volumes croissants de déchets électroniques, peuvent être efficacement abordées pour garantir une économie numérique plus durable en Afrique.
«L’Afrique représente moins de 1 % des centres de données existants dans le monde, dont la plupart se trouvent principalement en Afrique du Sud. D’autres se développent au Ghana, au Kenya et au Nigéria». Le rapport de la Cnuced (ONU commerce et développement) considère le marché en plein essor des centres de données comme une opportunité de construire une économie verte et durable. Avec l’accélération de la transformation numérique dans les pays en développement, la demande de centres de données devrait grimper en flèche.
Un rapport de 2021 de l’Africa Data Centres Association prévoit que «le marché des centres de données en Afrique connaîtra un taux de croissance annuel composé de 12 % entre 2019 et 2025». Cette croissance est possible en dépit «des conditions climatiques difficiles, une disponibilité limitée des énergies renouvelables, une pénurie d’eau, des contraintes de connectivité et des pannes de courant », indique le rapport.
Economie circulaire
La circularité est puissante car elle intègre à la fois des aspects économiques ( la création d’emplois, la croissance du PIB), des aspects environnementaux (les matériaux et les ressources) et sociaux (l’augmentation du niveau de vie). L’adopter c’est garantir un plan d’action solide et impactant. Le directeur du Département du changement climatique et de la croissance verte à la BAD a indiqué « tandis que plus de six pays africains sur dix dépendant des ressources naturelles pour leur PIB, l’économie circulaire est cruciale pour la croissance du continent. Avec des investissements stratégiques et des politiques innovatrices, l’Afrique peut débloquer un accroissement de 2,2 % de son PIB, générer 11 millions d’emplois et accéder à un marché mondial de l’économie circulaire de 526 milliards de dollars ». Engager le continent sur le chemin de l’économie circulaire en même que le développement économique est une promesse d’une croissance durable tout à fait possible.
Des efforts sont en cours pour accroître la réutilisation, une grande partie des déchets liés à la numérisation étant traités dans des cadres informels, en particulier dans les pays en développement. Le rapport souligne que le secteur de la réparation et de la remise à neuf en Afrique est bien organisé, en particulier au Ghana et au Nigéria.
À Nairobi, le Centre de traitement des déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE Center) est un autre exemple d’installations qui favorisent efficacement la réutilisation, le recyclage et l’élimination sûre des déchets électroniques. Avec plus de 100 points de collecte dans tout le pays, le centre a recyclé plus de 12 000 tonnes de déchets électroniques et employé plus de 1 000 jeunes selon le directeur de l’établissement.
Eco système de start-ups en Afrique
L’essor des startups en Afrique est devenu un moteur de la croissance économique, avec des conditions favorables encourageant l’augmentation des investissements. De nombreuses initiatives visent à promouvoir l’innovation verte sur le continent afin de lutter contre la désertification, la pénurie d’eau ou les émissions de gaz à effet de serre. En Afrique du Nord, des pays comme la Tunisie et le Maroc commencent à se démarquer grâce à leurs investissements dans les technologies vertes portées par des PME.
En Tunisie, par exemple, plusieurs programmes visent à promouvoir l’entrepreneuriat et l’innovation dans le secteur des technologies vertes sont soutenus par des partenariats internationaux et des investissements publics et privés, créant un écosystème propice à l’émergence de startups green.
Des organisations régionales comme «Afrilabs» s’activent à renforcer et construire une communauté autour des pôles d’innovation et d’autres parties prenantes dans divers pays africains. En Afrique, certaines start-up innovantes se distinguent par leur engagement en faveur de la durabilité environnementale. Parmi eux, certains ont acquis une notoriété internationale.
M-KOPA (Kenya) : M-KOPA fournit une énergie solaire abordable à des milliers de ménages ruraux, contribuant ainsi à réduire la dépendance aux combustibles fossiles et à améliorer la qualité de vie des communautés défavorisées.
Off Grid Electric (Tanzanie) : Cette startup se concentre sur les solutions solaires domestiques, permettant aux ménages sans accès à l’électricité de bénéficier d’une énergie propre et fiable.
Safi Organics (Kenya) : Safi Organics convertit les déchets agricoles en engrais organique qui contribue à améliorer la fertilité des sols tout en réduisant les déchets.
La diversité et la créativité des startups africaines green montrent qu’il est possible de concilier développement économique et protection de l’environnement avec un accès universel à ces énergies propres.
La population jeune de l’Afrique, selon la BAD, devrait doubler pour atteindre plus de 830millions de personnes d’ici à 2050. L’exploitation de ce dividende démographique est essentielle pour la croissance économique. Cet atout démographique permet non seulement d’innover mais aussi de couvrir les besoins en main d’œuvre pour les projets lancés dans un contexte de chômage élevé. La responsabilité de réussir cette transition et d’exploiter ces avantages incombe d’abord aux responsables des pays qui doivent selon le FMI « intervenir de manière décisive pour faciliter la réaction immédiate aux chocs climatiques, par exemple en mobilisant plus de recettes intérieures pour constituer des réserves, en réduisant la dette et les déficits publics, et en accumulant des réserves internationales ».