Nous avons été bercés lors de notre enfance par les films de science-fiction et des dystopies où le progrès de la science et de la technologie a sauvé l’humanité et l’a maudite en même temps. Un monde futuriste qui a une solution à tout problème, sauf à celui de la destruction des ressources et l’obsolescence de la vie terrestre.
Aujourd’hui, si on doit garder un élément de ces scénarios fantaisistes, ce serait l’impact des changements climatiques sur notre vie.
Une lecture des différentes analyses des acteurs spécialisés qui exposent le problème et proposent de solutions.
Tous les observateurs scientifiques, économistes et politiques s’accordent sur l’urgence d’une action commune pour adapter notre mode de consommation et de croissance. Cette question en titre de l’article a été posée par l’ONG Cérès dans sa proposition de feuille route de développement économique responsable pour les années à venir. Les analystes de risques prédisent des dangers majeurs qui menacent l’humanité, populations et entreprises si rien n’est fait pour les minimiser.
Pourquoi sommes nous en danger et que faut-il faire pour y remédier ? Une lecture des différentes analyses des acteurs spécialisés qui exposent le problème et proposent de solutions.
“We are at a précipice”. C’est l’alerte lancée par l’ONG dans son rapport qui indique que « les menaces mondiales en matière de durabilité – de la crise climatique à la pénurie d’eau en passant par les inégalités raciales, de genre et économiques – deviennent chaque jour plus urgentes et compromettent déjà le bien-être de notre planète et de ses habitants. Tout comme la pandémie de COVID-19, les risques qui nous attendent sont connus, ils ont été prédits et ils menacent de perturber les opérations des entreprises et les chaînes d’approvisionnement, de déstabiliser les systèmes financiers et les opportunités économiques et de provoquer des souffrances généralisées dans les communautés mondiales. »
Une description troublante du futur des Hommes, appuyé par un constat déjà partagé par l’ONU dans son édition spéciale du Rapport sur les objectifs de développement durable publié fin 2023.
« À mi-chemin de l’échéance du Programme 2030, cette édition spéciale du Rapport sur les objectifs de développement durable montre que nous laissons de côté plus de la moitié du monde. Les progrès de plus de 50% des cibles des objectifs de développement durable (ODD) sont faibles et insuffisants ; pour 30 %, ils stagnent ou reculent. Ce sont les cibles clefs sur la pauvreté, la faim et le climat qui sont touchées. Si nous n’agissons pas maintenant, le Programme 2030 deviendra l’épitaphe d’un monde qui aurait pu être ».
Penser à la fin du monde tel qu’on le connait est effrayant, mais il doit nous alerter. Les experts s’accordent à dire que le changement doit s’opérer dès maintenant et cela à plusieurs niveaux. Le global risk report publié par le WEF en janvier 2024 sur les risques globaux à 2026 a relevé dans son top 3 que « les risques environnementaux pourraient atteindre un point de non-retour, une polarisation sociétale et la désinformation peut creuser davantage les divisions sociétales et politiques. »
Le changements climatiques extrêmes et le développement rapide des technologies comme l’IA vont augmenter le fossé entre les populations mondiales et alimenter les conflits sociaux-politiques. Le modèle de développement économique et social de chaque pays devra alors prendre en considération ce contexte.
Que doit-on faire pour se projeter dans un futur meilleur ?
Si nous connaissons les menaces, alors nous savons comment les éviter ? Théoriquement oui, mais les observateurs relèvent une certaine « myopie » qui empêche les acteurs privés et publics de prendre les bonnes décisions au bon moment.
Selon l’ONU, « il n’y a pas meilleure illustration de la myopie de nos systèmes économiques et politiques dominants que l’intensification de la guerre que nous livrons contre la nature. Il n’est pas encore trop tard pour limiter l’augmentation de la température mondiale à 1,5 °C, éviter les pires effets de la crise climatique et garantir la justice climatique pour les personnes, les communautés et les pays qui se trouvent en première ligne des changements climatiques, mais c’est le moment ou jamais d’agir. »
Comment agir quand chaque pays, chaque gouvernement répond à des impératifs stratégiques et économiques spécifiques et n’accorde pas le même degré de priorité aux problématiques de développement durable du moins celles en lien avec le climat et l’investissement responsable ?
Chaque entité à son niveau, peut entreprendre les actions nécessaires sans entraver les efforts des autres entités. En effet, selon le rapport, il existe des « opportunités clés d’action qui peuvent être prises au niveau local ou international, individuellement ou en collaboration – et qui peuvent réduire considérablement l’impact des risques mondiaux ».
Le changement de la pensée et du modèle de développement de croissance a été évoqué par plusieurs auteurs, « un modèle de croissance “inclusive” qui ne laisse personne sur le bord de la route et qui intègre les générations futures en rééquilibrant nos finances publiques et en incitant à l’innovation verte. » Dans leur ouvrage Philippe Aghion, Gilbert Cette, Élie Cohen parlent d’un modèle de croissance « résolument progressiste parce que s’attaquant aux inégalités sociales à la racine en réactivant la mécanique de la mobilité sociale ». Le handicap majeur face à cette manœuvre est la difficulté de s’armer des bons outils et des bonnes méthodes en l’absence d’un « consensus ». Cela reste possible.
En effet, toujours selon le WEF, les Etats peuvent initier des stratégies localisées « tirant parti de l’investissement et de la réglementation qui peuvent réduire l’impact de ces risques inévitables auxquels nous pouvons nous préparer, et les secteurs public et privé peuvent jouer un rôle clé pour étendre ces avantages à tous ». Cette idée tirée du sondage effectué en amont du rapport souligne les items sur lesquels il est possible d’intervenir localement : sensibilisation du public et éducation, instruments financiers et les réglementations locales et nationales.
Et que doit faire le secteur privé pour jouer pleinement son rôle ?
Au-delà la politique publique, le secteur privé joue un rôle important dans la mise en œuvre des Objectifs de Développement Durable (ODD), en particulier l’ODD 17 (partenariats), dans l’espoir d’apporter une contribution par des investissements en capital, face à la diminution des ressources publiques.
Rodolphe Durand, directeur académique de l’Institut Society & Organizations d’HEC Paris, et Antoine Frérot, président-directeur général de Veolia, ont publié ensemble « L’entreprise de demain : pour un nouveau récit » et défendent une vision de l’entreprise « qui mette à égale distance la version financière de la gestion de l’entreprise (la maximisation de la valeur en faveur des actionnaires, en anglais la « shareholder value maximization »), et la « théorie des parties prenantes » – la « stakeholder theory ». Depuis les années quatre-vingt, celle-ci permet de proposer des alternatives à la première mais qui ne parviennent pas à convaincre. Et pour nous, il y a une troisième voie, différente et porteuse d’espoir ».
Gary Hamel, conférencier et fondateur de Strategos, cabinet spécialisé en stratégie d’entreprise voit en cette prise de conscience un élément salvateur face au changement perpétuel « L’avenir ressemble de moins en moins à une simple extrapolation du passé ». Les analyses économiques à long terme ne sont plus fiables dans un environnement volatile et des challenges en mutation.
Les sociétés font face à plusieurs éléments : fragilisation du tissu social, croissance des inégalités, faim dans le monde, dérèglement climatique… Dans ce contexte, « il est de la responsabilité du dirigeant de se tourner vers l’extérieur, pour dialoguer avec la société dans son ensemble ».
L’entreprise ne pourra pas rester isolée dans son modèle économique et devra entrer dans une dynamique d’impact : comment agir et agir bien.
« Il est certain que l’impact qu’une entreprise peut avoir seule est limité : c’est en contribuant au développement de nouveaux écosystèmes qu’il est possible d’apporter des réponses efficaces aux enjeux sociétaux. » Cette vision du développement rejoint l’investissement d’impact.
Pour un meilleur avenir, CERES voit une feuille de route d’investissement essentiellement autour de ces actions :
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« Articuler un objectif qui démontre une valeur partagée pour toutes les parties prenantes
clés et aligne les intérêts financiers, les atouts de l’entreprise et le rôle de l’entreprise dans le
maintien et l’amélioration du bien-être de la planète et de la société ». Cela veut dire inclure
une démarche inclusive et responsable dans la stratégie de l’entreprise. -
« Élargir la définition du risque financièrement important pour inclure les impacts importants
et saillants en matière de durabilité, et hiérarchiser ces risques, ainsi que les opportunités
associées, dans l'établissement des priorités commerciales. » Cela implique une posture
d’investisseur qui sait mobiliser l’ensemble des leviers dont il dispose pour contribuer à
l’intérêt général et apporter des performances financières, environnementales et sociales. -
« Intégrer les risques et opportunités importants en matière de durabilité dans la
planification stratégique, la gestion des risques d'entreprise, les dépenses en capital et les
calculs d'investissement ». Ici, la durabilité intègre la liste des risques à analyser et contrôler
tout autant que les risques stratégiques ou opérationnels. -
« Effectuer une analyse de scénarios liés à la durabilité pour mieux analyser les impacts
environnementaux et sociaux tout au long de la chaîne de valeur et sur plusieurs horizons
temporels. »
L’entreprise de demain aura donc à adopter les règles de la finance durable afin de réaliser un impact réel. Les ODD constituent pourtant le socle commun de tout action responsable et devront s’imposer comme feuille de route à tous les Etats.
Le rôle de l’ONU doit se renforcer pour mener à bien le projet 2030
Même si la locomotive va être pilotée par le secteur privé, les Etats gardent un rôle majeur pour offrir le cadre réglementaire approprié et adopter les mesures de cadrage à respecter. En septembre prochain se tiendra le Sommet de l’avenir (Summit of the Future) à New York destiné à trouver un consensus autour de l’engagement pour le futur. Avec le constat de la lenteur de l’avancement de l’Agenda 2030, l’objectif de ce sommet est d’accélérer le mouvement et d’inviter les pays à redoubler d’efforts. Beaucoup de défis face à cette initiative onusienne dans un contexte mondial compliqué au niveau politique et économique. Selon l’organisation suisse « La Plateforme Agenda 2030 » , un réseau de plus de 50 associations, fédérations, ONG et syndicats en Suisse qui a pour objectif de pour
que la Suisse mette en œuvre l’Agenda 2030, le sommet ne peut pas changer le cours des choses sans un engagement clair des états membres. « Car pour de nombreuses actions concrètes, l’ONU dépend de ses Etats membres. Ainsi, les pays riches comme la Suisse doivent enfin tenir leurs promesses d’allouer 0,7% de leur performance économique à la coopération au développement et de mettre à disposition des fonds climatiques et des fonds pour la protection internationale de la biodiversité à partir de sources nouvelles et supplémentaires. Ils doivent fixer des règles claires en matière de responsabilité des entreprises et entreprendre les réformes nécessaires pour des politiques fiscales et commerciales équitables. Et créer ainsi la base pour que les pays du Sud disposent de suffisamment de recettes publiques et de la marge de manœuvre nécessaire pour mettre en œuvre les ODD. »
L’entreprise responsable de demain est donc une partie d’un écosystème qui a accepté de s’inscrire dans la démarche des ODD. ONG, gouvernements et acteurs privés doivent s’engager pour une sensibilisation du public aux enjeux futurs, mettre en place les instruments financiers adéquats aux objectifs ODD et modifier les réglementations locales et nationales pour atteindre ces objectifs.